Lettre #4

29 mars 2022

Voilà presque un mois sans lettre… ce mois de mars était intense, avec l’arrivée de ma mère et mes filles avec lesquelles nous passons quinze jours, tournage des 3 films, finalisation des œuvres à danser, ateliers de création papier pour partager avec les locaux aussi. Je n’ai pas arrêté sauf quand la planche de mon surf m’y a obligée avec quelques points de suture à la lèvre… Rien de grave mais un petit rappel pour me dire que je ne peux pas tout porter… Et que le surf procure des sensations déroutantes d’équilibre et de fluidité avec la sensation de voler… Mais que c’est un sport qui peut s’avérer dangereux !

Le tournage avec Lara, au milieu d’un cercle de bambou, est une expérience forte pour moi. Il s’agit de me détacher de l’œuvre, comme on se détache d’un enfant. Et justement Lara est enceinte de 6 mois ! C’est la deuxième fois que je crée avec une femme enceinte pour inspiration. Ma mère a accouché 2 fois à 6 mois, avant ma naissance et malheureusement les bébés n’ont pas survécu à leur prématurité. A la fin de cette danse que nous positionnons comme un rituel, je suis extrêmement émue, cela m’apprend à me détacher. C’est aussi une intention qui est présente avec ce voyage, ne pas s’attacher affectivement aux gens, aux objets, à mon statut d’artiste… Mais être dans le présent, dans l’amour. Le cadre d’une œuvre offerte pour un rituel de reconnexion à la nature, est très puissant à ce niveau là. Je suis avec l’intention que peu m’importe comment l’œuvre va être transformée par ce rituel dansé, avec l’éventualité qu’elle se casse… Lara est absolument délicate dans la danse avec elle, mais elle la rencontre vraiment « comme un vieil ami » dit-elle.

Avec Marie, l’œuvre est une robe à porter. Nous avons choisi de poser le rituel dans la rivière. J’ai conscience que l’œuvre ou la rivière peuvent appeler à ce que la robe se dissolve dans l’eau. C’est un rituel que j’ai déjà eu avec ma robe « Rivière amoureuse 2 dans ma danse ». Marie a cette même sensation que l’œuvre est un être qui lui demande certains mouvements ou qualité d’être. C’est très fort aussi. Mona qui filme, devient de plus en plus fluide dans sa danse avec la caméra et les déplacements de Marie et de l’œuvre. Je connais Marie depuis mon voyage au Japon, nous avons déjà œuvré ensemble, c’est un peu parce qu’elle habite au Costa rica que je suis là. Avec elle la préparation se fait en amont, elle a besoin d’un cadre clair, le rituel révèle ce qui est présent, elle est danseuse-chamane.

Puis nous rencontrons Mario qui vit à Monteverde, un village dans une forêt de nuage. Les forêts de nuage sont très rares et sont menacées par le réchauffement climatique. Elles abritent des espèces végétales et animales assez rares… Mario vit là à Rio Chante, un lieu créé il y a plus de 50 ans par des américains qui fuient la guerre du Vietnam et cherchent un lieu de ressourcement et de paix. C’est un jeune artiste, il peint, il danse, il est beau, sensible et joyeux. C’est Lara qui nous a mis en relation, Marie le connaît aussi. Avec Mona et Luciole qui nous accompagne, nous avons 2 jours pour tenter quelque chose. Il est enchanté par la proposition. L’œuvre que j’ai faite est la plus fragile, elle est plus comme une porte de dentelles végétales. Il nous présente un arbre incroyable où nous décidons de tourner. Celui ci a été étranglé par un ficus (ou figuier selon les traductions) étrangleur. Le tronc a disparu et le ficus étrangleur s’élève a plus de 30 m de haut autour d’un axe vide que nous escaladons par l’intérieur… Avec Mario nous sommes en présence de la notion de fragilité, fragilité des écosystème, de nos natures… Mona est vraiment dans l’expérience avec la caméra et elle suit les mouvements de l’œuvre et de Mario. Quelque chose se passe même si nous ne nous connaissons pas depuis longtemps, la confiance est là. La vie est là.

Je me sens reconnaissante de ces moments offerts à poser les liens de ce projet Enlaces, entre les personnes, les végétaux, les minéraux et les animaux. Il y a une fluidité, un désir et une évidence.

Après ces 9 jours de tournage et 3 jours d’atelier et de présentation des œuvre… J’emballe les œuvres, l’une d’elle part pour l’Australie depuis un tube en pvc made in Costa Rica pour l’évement « Paper on skin » https://burnieartscouncil.com/paper-on-skin/about-the-competition qui a retenue mon projet parmi 500 autres… J’emballe les deux autres œuvres dans mon grand tamis en bois exotique des restes du plancher de Marie ! Et j’appelle de tout mon coeur un bel espace d’exposition où proposer la vision des films à côté de l’exposition des œuvres.

A présent je me sens un peu vide. En digestion. Avec l’écriture pour compagne, ma rêverie, ma solitude et des marches dans la nature en perspective. Mon retour en France est dans à peine plus de 15 jours et c’est donc ma dernière lettre de résidence sur place.

Pour soutenir ma démarche de recherche et de création, vous pouvez pré-commander mon carnet de résidence artistique au Costa Rica. Il retracera mes expériences ici, avec des photographies en couleur, des textes poétiques et un papier original en fibre de jungle :

https://www.helloasso.com/associations/la-camigraphie-expressive/collectes/fibres-de-jungle-carnet-de-voyage-au-costa-rica