L’eau est féminine, elle est puissante et délicate.
L’eau est un processus permanent, elle traverse tout, elle est partout, elle est multiple et une.
Je suis fascinée par l’écriture, parmi les kanjis chinois qu’utilisent les Japonais, le mot mizu, 水 (eau) vient de rivière 川 qui se prononce kawa ou gawa – comme kami (papier) qui devient ori-gami pour papier plié.
Quand on compresse une rivière on obtient l’eau, les deux traits extérieurs se plient pour compresser le trait du milieu et donner l’eau !
J’aime la solitude du temple et de l’atelier. Je rentre profond dans mes émotions, dans le travail.
J’ai besoin de beaucoup de matière pour m’exprimer, d’utiliser tout mon corps. Aussi j’ai choisi les grands cadres de 1m sur 2m pour faire mes essais qui sont directement l’œuvre aussi. Je pars de ce qui est là en déroulant un long processus. Du coup j’ai décidé que mon œuvre serait un makimono (un format horizontal à l’inverse du kakemono qui est vertical). Le makimono convient pour les histoires humaines alors que le kakemono est le format de la relation au divin. Cela me convient à moi aussi.
Mes 3 premiers grands formats sont faits avec des fibres très brutes. J’ai obtenu de la soude caustique après 4 jours de cuisson aux cristaux de soude qui n’extraient pas complètement les fibres de celluloses, en tout cas pas les plus dures ! Cela donne au papier un aspect papyrus, très sauvage et rustique.
Quand j’ai fini un papier, je couche un drap et une planche dessus et je m’allonge sur mon travail un moment, pour presser mon papier, un moment de repos, de souffle, un moment danse.
Je fais des rencontres, on m’offre un café, des gâteaux. J’achète un miso super bon chez un artisan d’Echizen. Et je vais mangé chez Masao et Mayuko, de terriblement bons sushis-maison avec du daïkon-wasabi fraîchement rappé et du shizu finement ciselé…
Et je reviens à ma création, inspirée par une photo d’eau vue au microscope.
Je me dis que je mets trop de “choses” dans mon papier. Puis je me dis que c’est comme ça, que j’aime être avalée entièrement par mon travail pour trouver le fil de mon art, sa magie, ce truc qui se fait sans moi, ou qui se fait quand je disparais !